25 May
25May

     Dans Le Mythe de l’éternel retour, Mircéa Eliade explore la manière dont les sociétés traditionnelles conçoivent le temps, l’histoire et le sacré. À rebours de la vision linéaire moderne, il met en lumière un monde où chaque geste, chaque rituel, répète un acte primordial et sacré, recréant ainsi l’ordre du cosmos. 

Biographie de l’auteur  

     Historien des religions et romancier, Mircea Eliade est né en 1907 à Bucarest en Roumanie et mort en 1986 à Chicago où il y détenait la chaire d’Histoire des religions à l’Université de Chicago depuis 1957. Il est considéré comme l’un des fondateurs de l’histoire moderne des religions et a publié des ouvrage faisant aujourd’hui autorité dans cette discipline comme : Le mythe de l’éternel retour (1949), Mythes, rêves et mystères (1957), Le sacré et le profane (1965) ou encore La nostalgie des origines (1991). 

Avertissement : Ce document est une synthèse de l’ouvrage nommé plus haut. Il a vocation à en retranscrire les grandes idées et non pas de reproduire son contenu. Pour approfondir vos connaissances sur ce sujet, nous vous invitons à acheter l’ouvrage afin de le lire par vous-mêmes. La couverture, les images, le titre et autres informations relatives à l’ouvrage restent la propriété de son éditeur.

Synthèse 

  • Archétypes et répétition

             Il ne sert à rien de vouloir trouver les termes forgés par la tradition philosophique occidentale dans les textes des cultures dites « traditionnelles » ou « pré-modernes ». Des concepts comme l’« être », le « réel » ou bien le « devenir » n’y sont pas présent. Pourtant, il ajoute que : « si le mot fait défaut, la chose est là : seulement, elle est « dite » — c’est-à-dire révélée d’une manière cohérente — par des symboles et des mythes »[1]. Dans la vision de l’homme traditionnel, « un objet ou une action acquièrent une valeur, une réalité, une identité, parce qu’ils participent, d’une manière ou d’une autre, à une réalité qui les transcende »[2]. Une pierre se « révèle » sacrée parce qu’elle se voit attribuée un certain symbolisme par l’homme traditionnel : tombée du ciel, sortie des profondeurs de la terre ou des eaux, touchée par un personnage mythologique, l’objet ainsi choisi devient le réceptacle d’une force extérieure, transcendante, qui n’est pas celle de l’homme. L’objet devient ainsi sacré par le processus de ce que Eliade appelle une « hiérophanie », du grec hieros (ἱερός, « sacré », « saint ») et phainein (φαίνειν, « révéler », « amener à la lumière »).             

Si un objet particulier peut connaitre une hiérophanie par le pouvoir performatif de la volonté humaine à travers le mythe, c’est le monde tout entier entourant l’homme traditionnel qui est le reflet du divin. Ainsi Eliade énumère plusieurs textes sacrés issus de cultures traditionnelles : 

« Selon les croyances mésopotamiennes, le Tigre a son modèle dans l’étoile Anunît, et l’Euphrate dans l’étoile de l’Hirondelle. Un texte sumérien parle du « séjour des formes des dieux », où se trouvent « (la divinité) des troupeaux et celles des céréales ». Pour les peuples altaïques, de même, les montagnes ont un prototype idéal dans le ciel. Les noms des lieux et des et nomes égyptiens leurs étaient donnés d’après les « champs » célestes : on commençait par connaitre les « champs célestes », puis on les identifiait dans la géographie terrestre »[3]. 

Chaque phénomène terrestre, abstrait ou concret, correspond à un terme céleste, transcendant, invisible, à une « idée » au sens platonicien du terme[4].  Pour Eliade, le temple, bâtiment sacré par excellence, à lui aussi son modèle idéal. Dans l’Exode (XXV, 8-9), Jehova montre la « forme » du sanctuaire qu’il lui faut lui construire. Les villes sont également considérées comme ayant été bâties sur un modèle divin : 

« Toutes les cités babyloniennes avaient leur prototype divin : Sippar dans le Cancer, Ninive dans la Grande Ourse, Assur dans Arcturus, etc. […] Non seulement un modèle précède l’architecture terrestre, mais encore il se trouve dans une « région » idéale (céleste) de l’éternité. […] Une Jérusalem céleste a été créée par Dieu avant que la ville de Jérusalem soit bâtie par la main de l’homme. […] Nous retrouvons la même théorie aux Indes : toutes les villes royales indiennes, même modernes, sont construites sur le modèle mythique de la cité céleste où habitait à l’Age d’or le Souverain Universel »[5]. 

Si nous suivons le raisonnement d’Eliade, c’est toute la géographie du monde dans lequel évolue l’homme traditionnel qui se trouve pénétrée de transcendance : de la hiérophanie des objets du communs aux éléments topographiques en passant par les temples et les villes, c’est l’intégralité du monde pré-moderne qui semble se trouver centré, structuré, « archétypé »[6] par le divin.             

De même, les territoires sauvages et inconnus, habités par les monstres, sont attribués à ce que les grecs appelaient « Chaos » : régions « indifférenciées » et « informes » tel que se trouvait le monde avant la création. Les rites tiennent alors lieu de répétition de l’acte de création effectué à l’origine par le divin. Pour l’homme traditionnel, le culte sert, en quelque sorte, d’instrument d’appropriation du naturel sauvage : « l’établissement dans une contrée nouvelle, inconnue et inculte, équivaut à un acte de création »[7]. Finalement, cette géographie de la transcendance trahit, toujours selon Mircea Eliade, « l’obsession du réel, la soif du primitif pour l’être »[8]. 

  • Les mythes et l’Histoire : l’éternel retour
             Nous avons vu que les sociétés traditionnelles ne confèrent une réalité à un objet ou un acte qu’a partir du moment où ils imitent ou répètent un archétype, c’est-à-dire qu’ils se voit attribuer une charge de transcendance par le biais d’un rattachement au mythologique. Tout ce qui ne se réfère pas à un modèle « extra-terrestre » se voit « dénué de sens » et manque de « réalité » : 

« Les hommes aurait donc tendance à devenir archétypaux et paradigmatiques. Cette tendance peut paraitre paradoxale, dans ce sens que l’homme des cultures traditionnelles ne se reconnait comme réel que dans la mesure où il cesse d’être lui-même (pour un observateur moderne) et se contente d’imiter et de répéter les gestes d’un autre [divin, mythologique]. En d’autres termes, il ne se reconnait comme réel, c’est-à-dire comme « véritablement lui-même », que dans la mesure où il cesse précisément de l’être »[9]. 

La pratique de la hiérophanie est ce qui permet, pour les pré-modernes, la révélation du transcendant dans le monde, et donc de lui donner sa réalité par rapport à un archétype divin. Mais cette « ontologie primitive » ne se limite pas à l’espace, elle arraisonne également le temps. En effet, la répétition des cultes et des « gestes paradigmatiques » met fin au « temps profane » et à l’histoire telle que nous (modernes) pouvons la concevoir : « celui qui reproduit le geste exemplaire se trouve ainsi transporté dans l’époque mythique où a eu lieu la révélation de ce geste exemplaire »[10]. 
Ainsi, la référence au héros mythologique transforme l’homme en archétype par la répétition. Guerriers et souverain cherchent à imiter un héros et se rapprocher le plus qu’il leur est possible de ce « modèle archétypal ». Leurs actes les plus braves et leurs victoires les plus glorieuses ne sont pas les leurs en propres, mais bien souvent des actes d’imitateurs revendiqués. En outre, même si les individus sortant du lot des sociétés traditionnelles, les « personnages historiques », ne se réfère pas explicitement à des archétypes mythologique, ils se voient assimilés, par les autres membres de la sociétés, a un modèle mythique tandis que l’événement se voit comme transsubstantialisé en action mythique par le processus de hiérophanie : « Si certains poème conservent la « vérité historique », cette « vérité » ne concerne jamais des personnages et des événements précis, mais des institutions, des coutumes, des paysages. […] Mais de telles « vérités historiques » ne concernent pas des « personnalité » ou des « événements », mais des formes traditionnelles de la vie sociale et politique (dont le « devenir » est plus lent que le « devenir » individuel), en un mot des archétypes »[11].   
Nous pouvons donc affirmer, avec Eliade, que la mémoire collective des sociétés traditionnelles est « anhistorique » : « le souvenir des événements historiques et des personnages authentiques se modifie au bout de deux ou trois siècles afin de pouvoir entrer dans le moule de la mentalité archaïque, qui ne peut accepter l’individuel et ne conserve que l’exemplaire »[12]

Ces analyses nous montrent le caractère secondaire de l’individualité humaine dans les sociétés archaïques. Il semble ne pas pouvoir s’y réaliser d’innovation spontanée, tout changement doit se voire rattacher à un archétype qui le précède et lui donne sa forme, sa « réalité ».  Enfin, c’est l’écoulement du temps lui-même qui se trouve archétypé par la conception cyclique du temps des sociétés prémodernes. Nous y retrouvons, dans l’observation des cycles lunaires et la croyance à une régénération du temps, « le motif de la « répétition » d’un geste archétypal, projeté sur tous les plans : cosmique, biologique, historique, humain, etc. »[13]. En considérant le temps comme cyclique, les prémodernes pouvait en annuler l’irréversibilité. Si tout est voué à se renouveler, si le passé n’est qu’une étape vers un futur recommencement, alors : 

« Aucun événement n’est irréversible et aucune transformation n’est définitive. Dans un certains sens, on peut même dire qu’il ne se produit rien de neuf dans le monde, car tout n’est que la répétition des mêmes archétypes primordiaux ; […] Le temps ne fait que rendre possible l’apparition et l’existence des choses. Il n’a aucune influence décisive sur cette existence — puisque lui-même se régénère sans cesse »[14]. 

Conclusion  
          Le monde prémoderne est un monde divin où tout est relié à des structures, des archétypes : villes, montagnes, fleuves, temples, arbres, &c. Le monde tourne autour de cet « être » divin consacré par les rites religieux sans lesquels les choses ne se voient pas attribuer de réalité. Les rites sont répétitions de l’acte de création effectué à l’origine par le divin. Pour l’homme traditionnel, le culte sert, en quelque sorte, d’instrument d’appropriation du naturel sauvage. Obsédés par le réel et l’être, les prémodernes ne se limitaient pas à l’espace, mais étendaient leur conquête métaphysique au temps, dont la conception cyclique leur permettait d’en court-circuiter l’irréversibilité. 

Une synthèse ne remplaçant jamais la lecture directe, voici le lien pour le livre dont est tiré l’article : 

https://www.fnac.com/a297658/Mircea-Eliade-Le-mythe-de-l-eternel-retour




[1] Mircea Eliade, Le mythe de l’éternel retour, page 15.   

[2] Ibidem.   

[3] Ibid., page 18   

[4] Cette idée, c’est ici le cas de le dire, n’est pas sans nous rappeler l’ouvrage de Frédéric Mathieu : Platon, un regard sur l’Egypte (2015).   

[5] Le mythe de l’éternel retour, pages 19-20.   

[6] Du grec arkhetupon, « modèle primitif ».   

[7] Le mythe de l’éternel retour, page 22.   

[8] Ibid., page 23.   

[9] Ibid. page 48.   

[10] Ibid. page 50.   

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