Dans Le Mythe de l’éternel retour, Mircéa Eliade explore la manière dont les sociétés traditionnelles conçoivent le temps, l’histoire et le sacré. À rebours de la vision linéaire moderne, il met en lumière un monde où chaque geste, chaque rituel, répète un acte primordial et sacré, recréant ainsi l’ordre du cosmos.
Biographie de l’auteur
Historien des religions et romancier, Mircea Eliade est né en 1907 à Bucarest en Roumanie et mort en 1986 à Chicago où il y détenait la chaire d’Histoire des religions à l’Université de Chicago depuis 1957. Il est considéré comme l’un des fondateurs de l’histoire moderne des religions et a publié des ouvrage faisant aujourd’hui autorité dans cette discipline comme : Le mythe de l’éternel retour (1949), Mythes, rêves et mystères (1957), Le sacré et le profane (1965) ou encore La nostalgie des origines (1991).
Avertissement : Ce document est une synthèse de l’ouvrage nommé plus haut. Il a vocation à en retranscrire les grandes idées et non pas de reproduire son contenu. Pour approfondir vos connaissances sur ce sujet, nous vous invitons à acheter l’ouvrage afin de le lire par vous-mêmes. La couverture, les images, le titre et autres informations relatives à l’ouvrage restent la propriété de son éditeur.
Synthèse
Il ne sert à rien de vouloir trouver les termes forgés par la tradition philosophique occidentale dans les textes des cultures dites « traditionnelles » ou « pré-modernes ». Des concepts comme l’« être », le « réel » ou bien le « devenir » n’y sont pas présent. Pourtant, il ajoute que : « si le mot fait défaut, la chose est là : seulement, elle est « dite » — c’est-à-dire révélée d’une manière cohérente — par des symboles et des mythes »[1]. Dans la vision de l’homme traditionnel, « un objet ou une action acquièrent une valeur, une réalité, une identité, parce qu’ils participent, d’une manière ou d’une autre, à une réalité qui les transcende »[2]. Une pierre se « révèle » sacrée parce qu’elle se voit attribuée un certain symbolisme par l’homme traditionnel : tombée du ciel, sortie des profondeurs de la terre ou des eaux, touchée par un personnage mythologique, l’objet ainsi choisi devient le réceptacle d’une force extérieure, transcendante, qui n’est pas celle de l’homme. L’objet devient ainsi sacré par le processus de ce que Eliade appelle une « hiérophanie », du grec hieros (ἱερός, « sacré », « saint ») et phainein (φαίνειν, « révéler », « amener à la lumière »).
Si un objet particulier peut connaitre une hiérophanie par le pouvoir performatif de la volonté humaine à travers le mythe, c’est le monde tout entier entourant l’homme traditionnel qui est le reflet du divin. Ainsi Eliade énumère plusieurs textes sacrés issus de cultures traditionnelles :
« Selon les croyances mésopotamiennes, le Tigre a son modèle dans l’étoile Anunît, et l’Euphrate dans l’étoile de l’Hirondelle. Un texte sumérien parle du « séjour des formes des dieux », où se trouvent « (la divinité) des troupeaux et celles des céréales ». Pour les peuples altaïques, de même, les montagnes ont un prototype idéal dans le ciel. Les noms des lieux et des et nomes égyptiens leurs étaient donnés d’après les « champs » célestes : on commençait par connaitre les « champs célestes », puis on les identifiait dans la géographie terrestre »[3].
Chaque phénomène terrestre, abstrait ou concret, correspond à un terme céleste, transcendant, invisible, à une « idée » au sens platonicien du terme[4]. Pour Eliade, le temple, bâtiment sacré par excellence, à lui aussi son modèle idéal. Dans l’Exode (XXV, 8-9), Jehova montre la « forme » du sanctuaire qu’il lui faut lui construire. Les villes sont également considérées comme ayant été bâties sur un modèle divin :
« Toutes les cités babyloniennes avaient leur prototype divin : Sippar dans le Cancer, Ninive dans la Grande Ourse, Assur dans Arcturus, etc. […] Non seulement un modèle précède l’architecture terrestre, mais encore il se trouve dans une « région » idéale (céleste) de l’éternité. […] Une Jérusalem céleste a été créée par Dieu avant que la ville de Jérusalem soit bâtie par la main de l’homme. […] Nous retrouvons la même théorie aux Indes : toutes les villes royales indiennes, même modernes, sont construites sur le modèle mythique de la cité céleste où habitait à l’Age d’or le Souverain Universel »[5].
Si nous suivons le raisonnement d’Eliade, c’est toute la géographie du monde dans lequel évolue l’homme traditionnel qui se trouve pénétrée de transcendance : de la hiérophanie des objets du communs aux éléments topographiques en passant par les temples et les villes, c’est l’intégralité du monde pré-moderne qui semble se trouver centré, structuré, « archétypé »[6] par le divin.
De même, les territoires sauvages et inconnus, habités par les monstres, sont attribués à ce que les grecs appelaient « Chaos » : régions « indifférenciées » et « informes » tel que se trouvait le monde avant la création. Les rites tiennent alors lieu de répétition de l’acte de création effectué à l’origine par le divin. Pour l’homme traditionnel, le culte sert, en quelque sorte, d’instrument d’appropriation du naturel sauvage : « l’établissement dans une contrée nouvelle, inconnue et inculte, équivaut à un acte de création »[7]. Finalement, cette géographie de la transcendance trahit, toujours selon Mircea Eliade, « l’obsession du réel, la soif du primitif pour l’être »[8].
[1] Mircea Eliade, Le mythe de l’éternel retour, page 15.
[4] Cette idée, c’est ici le cas de le dire, n’est pas sans nous rappeler l’ouvrage de Frédéric Mathieu : Platon, un regard sur l’Egypte (2015).
[5] Le mythe de l’éternel retour, pages 19-20.
[6] Du grec arkhetupon, « modèle primitif ».