« Sur le milieu du chemin de la vie
Je me trouvai dans une forêt sombre
Le droit chemin se perdait, égaré »
Dante, la Divine Comédie
Poète magistral auquel s’est identifié tout un pays, Dante est né en 1265 à Florence. Oublié après sa mort en 1321, il sera redécouvert par les français au XVIIIe siècle et Louis XVI lui-même aurait demandé le Paradis à son gardien la veille de son exécution. Le poète anglais Percy Shelley voyait en lui « le premier éveilleur d’un Europe tombée en extase » ; « le rassembleur de ces grands esprits qui présidèrent à la résurrection du savoir » : un emblème de la Renaissance.
La Vita Nova
Dante perçoit en l’amour autre chose que le jeu aristocratique du Fin’Amor, maitrise de la passion amoureuse qui en ajourne indéfiniment la jouissance, et de bella donna, une figure de la mort qui endort et aspire la force vitale de son amant. Il y voit, par la grâce de Béatrice, non une force des ténèbres, mais la source d’une lumière inépuisable, le commencement de l’éternité. Tel un ange envoyé par Dieu, Béatrice oriente le poète vers la célébration de la vraie vie et lui montre le chemin du salut.
Les poètes gréco-romain pratiquait le « lyrisme », chants rimés accompagnés du son de la lyre et avait pour tradition de débuter leurs poèmes par une invocation aux Muses, divinités inspiratrices des artistes. Béatrice est ainsi pour Dante l’inspiration faisant naitre le poème, elle est la muse qui dicte les mots à son poète. Résurgence d’un paganisme longtemps refoulé à l’époque médiéval, comme en témoignera la Renaissance, avec le retour de Vénus sous le visage de Marie. L’Amour, l’Eros païen à la fois fils de Vénus et père du monde, que les portails des églises représentaient parmi les péchés capitaux en l’associant à la Luxure et à la Mort, devient l’inspirateur d’une vie nouvelle, inépuisable et créatrice.
La Vita Nova (1293) fait le récit des amours impossibles de Dante pour Béatrice Portinari après le mort de la femme aimée. D’abord amour d’enfants (Dante et Béatrice ont neuf ans lorsqu’ils se rencontrent pour la première), puis d’adultes (après s’être perdus de vue, il se retrouve neuf ans plus trad) se faisant la cour, mais Dante s’y prend si bien pour fausser les pistes que Béatrice croit qu’il en aime une autre et ne le salue plus. Béatrice meurt et, ayant perdu tout espoir, Dante comprend que l’essentiel sera la transfiguration poétique de cet amour. Il célébrera un amour qui sera ainsi préservé dans son authenticité.
La transfiguration poétique
Dante écrit la Divina Commedia qui sera publié en 1472 après sa mort pour faire la narration du poète voyageant à travers l’Enfer pour monter au Paradis et retrouver l’être aimée. En faisant de l’amour pour une mortelle le principe dynamique de la création poétique, il se place dans le sillon du Banquet de Platon et le passage de Diotime sur l’initiation érotique. L’amoureux : « dans la vaste région occupée par le beau […], tourné maintenant vers le vaste océan du beau et le contemplant, pourra enfanter de beaux, de magnifiques discours, ainsi que des pensées nées dans l’inépuisable aspiration vers le savoir ».
Mais Dante se sépare de Platon, car la où le philosophe fait de l’Amour le principe qui élève l’âme du singulier vers l’universel, de la beauté physique à l’Idée de beauté en soi, l’amour que Dante porte à Béatrice ne se détourne jamais d’elle, et c’est toujours la même jeune femme qu’il retrouve au Paradis dans son corps glorieux.
Ni fausse idéalisation de l’amour courtois aux règles impossibles où la femme n’est finalement qu’un objet de désir vide en dehors de l’attraction physique qu’elle exerce sur son amant ; ni prétexte à versifications fleuves en chansons et ballades ; ni simple besoin animal à tourner en dérision et démythifier ; l’Amour est le dieu qui dicte le poème au cœur du poète. Le poète doit prononcer l’éloge de l’Amour et la créature aimée dont le Verbe vient poser la grâce miraculeuse sur les lèvres du poète.
L’Enfer
L’Inferno est la partie la plus célèbre de l’œuvre de Dante où il y décrit la « vallée douloureuse de l’abîme », rempli de cris horribles et qui s’enfonce au creux de la Terre. Les réprouvés abandonnés par Dieu y sont disposés en neuf cercles concentriques selon la gravité de leurs péchés : les limbes pour les enfants morts sans baptême et les poètes et philosophes n’ayant pas connu la Révélation, puis viennent les péchés de Luxure, Gourmandise, Avarice, Colère, Paresse, hérétiques, violents contre autrui, violents contre eux-mêmes et contre Dieu. Enfin, tout au fond de l’Enfer, sont enfermés les traitres dans un lac de glace refroidit par le battement mécanique de Lucifer, ange déchu s’étant révolté contre Dieu, trinité négative mâchant dans ses trois bouches Judas, traitre au Christ, Brutus et Cassius, traitres à César.
Au chant V de l’Enfer, Dante décrit la tempête d’âmes où sont pris les spectres s’étant rendus coupables du péché de Luxure, enfermés dans un manège fou dont ils ne seront jamais délivrés, a l’image de leur passée comme mortelles. Cléopâtre, Paris et Hélène, Tristan et Yseult y subissent « La tourmente d’enfer » qui « jamais calmée, emporte les esprit dans sa rafale et les tourne et les blesse et les harcèle ». Le supplice des amants ne fait que prolonger pour l’éternité l’état qui leur semblait paradisiaque de leur vivant, à jamais tournant vainement sur eux-mêmes.
L’au-delà de Dante est un en-deçà, car il ne fait que prolonger indéfiniment le choix des damnés. L’amour passion, jaloux et stérile, est une perversion diabolique de l’amour véritable, joyeux et généreux, ouvert au monde et aux autres, trouvant sa réalisation dans l’œuvre d’art. L’amour de la Vita nova est un amour réconcilié avec le monde, affranchi des tourments en angoisses de l’amour passion.
Passé au travers de l’Enfer grâce à l’aide de Virgile, plus grand des poète romains, Dante franchi le Purgatoire et atteint le Paradis où l’accueil Mathilde, symbole de la sagesse chrétienne dont le visage est celui de Vénus. Après s’être plongé dans le Léthè et s’être transfiguré par la grâce, Dante retrouve Béatrice et s’élève dans les sphères célestes où il contemple la lumière qui est Dieu et se sent plongé dans l’amour universel.
Le mélange réussi d’héritage antique et de foi chrétienne, la puissance de ses images, quasi hallucinées, feront de la Divine Comédie la plus grande œuvre de la littérature italienne.