24 Apr
24Apr

           Souvent considéré comme le dernier des Anciens et le premier des Modernes, Montaigne a contribué au mouvement de la Renaissance française en instaurant un culte de la sagesse antique. Passé maitre dans l’introspection et le jugement de soi-même, il aiguisa son œil à épier les moindres mouvements de ses sentiments, la moindre confusion dans ses idées afin de révéler les tréfonds inexplorés de son âme. 

Son œuvre maitresse, Les Essais (1580), sont d’abord de courtes dissertations sur des sentences l’ayant frappées au cours de ses lectures des ouvrages de l’Antiquité. Les thèmes qui le préoccupent le plus sont la douleur, la mort et la question du détachement à l’égard des biens périssables. Thèmes on ne peut plus stoïciens, car oui Montaigne est, dans une première partie de sa vie, pétrie de sagesse stoïcienne. Il veut avant toute chose arriver à cette sérénité d’esprit, ce calme de l’âme, promise par les philosophes stoïques dont ils disent que là réside le vrai bonheur. 


Stoïcisme premier 

          Puisqu’elle est toujours à nos côtés, comment vivre en paix si nous redoutons la mort ? Se demande-t-il. Pour cesser de la redouter, notre raison et notre volonté doivent s’unirent afin de la regarder en face, la mépriser et finalement la braver. Pour cela, il préconise de se plonger tout entier dans l’idée de la mort en y pensant sans cesse, contrairement au « vulgaire » qui, lui, cherche constamment à effacer cette idée de son esprit en se divertissant pour éviter de penser à sa fin.

Entendons bien que le stoïcisme de Montaigne ne relève pas de la stricte doctrine. Il ne se gène pas pour emprunter des fragments de sagesse aux autres sectes antiques comme celles d’Epicure. Il nous faut également ajouter qu’il rejette la métaphysique stoïcienne pour n’en considérer que la morale. Sa grande idée étant que si nous savons penser et vivre, nous ne souffrirons ni de la pauvreté, ni de la maladie, ni de la mort de ceux qui nous sont proches. 

Pas aussi radical que les préconisation du Christ, Montaigne ne va pas jusqu’à conseiller aux riches d’abandonner leurs richesses (il est lui-même bien lotis) pour s’exercer à la pauvreté. L’imagination ainsi que la méditation des exemples antiques doit suffire. La raison se fortifie et se rapproche de cette vertu que Caton voulait domination de la nature animal de l’homme : accoutumance à « prendre son contentement en l’âme » et à « n’avoir pas trop de commerce avec le corps ». Pour Montaigne, il y a plus de différence entre le sage et le vulgaire, qu’entre le vulgaire et l’animal. 


La réponse du sceptique au stoïque             

          L’époque à laquelle appartient Montaigne est marquée par de nombreux bouleversement des croyances : découverte du Nouveau Monde, remise en cause du géocentrisme, invention de la poudre à canon et de l’imprimerie, naissance de la Réforme protestante et redécouverte des philosophes grecs. Les bornes du monde intellectuel semblent alors reculer à l’infini. Les chroniqueurs rapportent des récits d’aventures vers des contrés inconnus où les coutumes et institutions les plus étranges sont rien de plus normale pour ceux qui les vivent. Ils décrivent des lieux, animaux, plantes tout autant féerique qu’ayant des allures de monstres. 

Dans ces conditions, comment faire la part des choses entre le vrai et le faux, puisque l’incroyable se révèle souvent réel ? Comment un homme particulier et son petit jugement peut-il prétendre connaitre les limites du monde, du possible et de l’impossible, alors que ce qui paraissait impossible hier peut devenir un fait d’expérience demain ? 

Près de deux siècle avant le philosophe David Hume et son traité de la nature humaine (1740), Montaigne en vient à dégager l’idée que nous ne devons ce que nous savons qu’à l’habitude. Si les coutumes des autres peuples peuvent nous dégouter, elles ne s’en imposent pas moins à la morale de ces peuples comme nos traditions s’imposent à nous. L’être humain, parce qu’il est doué de raison mais que cette raison est limitée, se croit le centre de l’existence et fait tourner le monde autour de son soi propre. Il se persuade que tout ce qui existe est là présent pour lui, les animaux, les plantes, les étoiles pour l’éclairer, &c.

 Réalisant cela à force d’accumuler des connaissances troublantes, Montaigne atteint un point à partir duquel il en vient à douter de la science qui n’est capable d’établir aucune vérité solide. Contradictions de la raison, assujettissement aux passions et au milieu, erreurs des sens, il se rend à l’évidence de la faiblesse de la science. Pyrrhon et les philosophes sceptiques deviennent pour lui « le plus sage parti des philosophes ». 

Après avoir tant attendu de la raison, il en vient à la mépriser. Le bonheur, qu’il pensait devoir être atteint que par la victoire de la raison sur les passions, ne lui semble désormais atteignable que si la raison est mise en sommeille pour laisser l’esprit glisser sur la pente de la nature.


 Autoportrait philosophique 

En grand lecteur de Plutarque et sa Vie des philosophes illustres, Montaigne entreprend de se peindre lui-même à la manière de son prédécesseur latin. Il va ainsi faire son propre portrait moral et physique en décrivant son moi en mouvement. Dans De l’expérience (1588), il explique avoir renoncé à croire que l’esprit humain puisse accéder à la vérité simplement à l’aide d’érudition en répétant des leçons apprises par cœur. Il en appelle à l’expérience la plus familière contre ces prétendus savants qui recherche soi-disant l’essence des choses : « Je ne peins pas l’être, je peins le devenir » ; « Je n’ai d’autre objet que de me peindre moi-même ». 

Pour ce qui est de la morale, les enseignement de Montaigne ont une grande valeur pratique et universelle en ce que ses leçons sont tirées de l’expérience. Ses Essais ayant été rédigé au fil des années, nous pouvons suivre l’itinéraire sur lequel s’est engagé sa pensé et voire en l’activité spontanée de son esprit. Il nous confie ses observations et réflexions sur les peuples qu’il a visités, les livres qu’il a lus, les discussions qu’il put avoir avec des humanistes étrangers…et l’évolution de la maladie qui le ronge. Montaigne ayant été atteint par la maladie de la pierre, héréditaire dans sa famille. 

Il en arrive finalement à revenir sur ses idées de « jeunesse » dans lesquels il méprisait le « vulgaire » pour son ignorance et sa bêtise. Ce sont ces gens qui travaillent la terre au quotidien qui sont véritablement connecté à la nature, à la vie et qui sont dans le plus pure devenir de l’existence. 

Par un mouvement dialectique d’opposition des contraires, Montaigne aboutit à considérer que c’est dans la nature et les sentiments, et non dans l’érudition et la raison, que se trouve le bonheur et la vertu. Notre devoir étant de travailler sans cesse à ce qu’aucune parcelle su champ qui nous a été confié ne reste en jachère.

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