29 Apr
29Apr

« Nous ne sommes jamais plus mal  

accompagnés que par nous-mêmes » 

   - Paul Valérie              

      Platon est certainement le philosophe le mieux connu de l’Antiquité grecque, pourtant, à la lecture de ses dialogues, il n’apparait dans aucuns de ses écrits. C’est par la mise en scène de son maitre Socrate discourant avec des interlocuteurs contemporains de l’Athènes Classique qu’il nous présente sa philosophie. Ou devrions-nous plutôt dire LA philosophie, car c’est avec Platon que la philosophia, l’« amour de la sagesse », cesse d’être simple enquête sur la Nature pour devenir cette art de se questionner soi-même, et de questionner ce qui nous entoure. 


Un contexte politique mouvementé             

      Profondément engagé dans la vie politique de l’Athènes du Ve siècle avant J.C., Platon s’inscrit de facto dans la crise, la stasis, que traverse la démocratie athénienne. Du point de vue politique, Platon vivra la guerre du Péloponnèse de l’âge de ses trois ans jusqu’à ses trente ans. Les décisions politiques et les enjeux liés à la guerre en cours puis vécue sont donc centraux dans ses dialogues. Socrate, son maitre, sera même condamné à mort par le gouvernement oligarchique ayant subverti le pouvoir après la défaite de la cité. 

Avant la défaite d’Athènes face à Sparte en 404 avant J.C, les décisions politiques sont le fait de l’Assemblé de tous les citoyens (limitée aux hommes d’au moins vingt et un ans et nés de père et de mère athéniens). L’élément central des institutions de l’époque était la discussion, d’où la nécessité d’être habile dans l’usage de la rhétorique, art politique par excellence : savoir bien parler pour gagner sur ses adversaire et faire prévaloir son opinion en persuadant la foule, ce « gros animal » comme disait Platon dans La République

Ajoutons également le fait que les athéniens de l’époque était extrêmement procéduriers et n’hésitait pas, à la manière des états-uniens d’aujourd’hui, à porter le moindre petit conflit au tribunal où la parole servait aussi à persuader la foule afin de faire pencher le jugement dans un sens ou dans l’autre. La rhétorique faisait donc partie intégrante de l’enseignement des riches enfants de l’aristocratie athénienne, afin de leur donner les armes pour se faire une place dans les hautes sphères des institutions politiques de la cité. 

Ces enfants apprenaient la rhétorique auprès de professeurs particulier voyageant de cités an cités pour professer leurs enseignements aux plus offrants : les « sophistes », ou « savant » en grec, que Platon critique alégrement dans ses discours, les accusant de travestir le logos et de participer à ce qu’il dénonce dans La République comme « la fraude aux mots ». 


Une philosophie de la parole             

    Le logos n’est pas exactement discours oral, mais plutôt, dans la bouche de Platon, pensée vivante d’une âme qui ne sait pas mais qui cherche à savoir : « le logos qui s’écrit dans l’âme de celui qui apprend », comme il l’explique dans le Phèdre. Platon oppose le logos, processus d’une âme entrain d’apprendre, à cette rhétorique qui, plus qu’elle ne cherche à entamer le dialogue, vise à neutraliser voire éliminer son adversaire en le coulant sous le poids des mots. 

Par ce que, comme le dit Platon dans le Protagoras, deux hommes trouvent plus facilement la vérité qu’un seul, le dialogue se fait nécessaire pour accéder à la vérité en ce qu’il suppose que les interlocuteurs qui le pratiquent soient de bonne volonté et bienveillant envers l’autre. Il ne s’agit pas d’une lutte, mais d’une recherche en commun de la vérité à travers l’ouverture au discours de la raison. 

Afin de concorder avec cette vision, Platon choisit donc d’écrire sous la forme de dialogues. Le philosophe n’est pas celui qui impose ce qu’il pense à travers l’écriture continue d’un traité, par exemple, mais celui qui s’ouvre au dialogue. Le philosophe n’a pas de savoir, mais il a des opinions, des doxai, c’est-à-dire des incertitudes. Le philosophe est celui qui, plongé au cœur de la vie politique de sa cité, s’oppose à ceux qui prétendent être savants, « experts », et qui se placent en position d’autorité parce qu’ils ont fait de longues études. 


La dialectique : apprendre à définir             

    Pour éviter cette « fraude aux mots » et ne pas tomber dans les travers de la rhétorique, il est nécessaire de se détourner de la connaissance vulgaire, de la connaissance par les sens. En effet, nos sens nous trompent : l’eau tempérée est liquide alors que l’eau gelé est solide et brûle la peau lorsque nous la touchons. Manger est agréable lorsque nous sommes bien portant, mais une torture quand nous sommes malades. Nous pensons être les mêmes à travers le flux de notre vie, mais qu’avons-nous en commun avec l’enfant que nous étions à l’âge de trois ans ? 

Le philosophe est celui qui s’interroge sur ce qui est au-delà de l’expérience sensible, celui qui a appris à détourner son regard de ce qui nous apparait de manière directe par l’expérience. Ce qu’il vise, c’est une réalité par-delà le sensible, par-delà le mouvement permanent des choses et de l’existence. S’en tenir au savoir sensible, c’est rester enchainé à notre ignorance. Pour sortir de cette état d’ignorance, il nous faut apprendre à définir ce que nous montrent nos sens. 

Ce processus de définition, la dialectique, est très similaire au fonctionnement de la science moderne qui cherche à dégager des lois scientifiques à travers l’étude des phénomènes physiques. La perception commune nous donne des observations multiples et contradictoires, mais il est possible de sortir l’expérience du particulier pour s’élever à la connaissance du général à travers l’étude du sensible. 

Ce que Platon nomme les « Idées » sont ces objets stables, définitifs et assurés, non-appréhendable par les sens, mais qui sont accessible par la science. Platon n’est pas dualiste dans le sens où il distinguerait deux mondes distincts, mais en ce qu’il considère qu’il y a deux façons différentes d’être au monde : l’une qui appréhende le monde par les sens, l’autre qui l’appréhende par l’intelligence et la science. 

La dialectique est la pratique du logos comme instrument d’étude du réel, de ce qui est, pour en dégager des lois fixes et générale afin sortir du particularisme et du mouvement permanent du monde. La dialectique est cette science qui explore le monde par l’intelligence plutôt que par les sens, elle est capacitée à discerner ce qui relève de l’opinion de ce qui relève du véritable savoir. Ainsi, le logos est un instrument permettant de s’opposer à la fausse science des sophistes qui repose la manipulation du logos. La dialectique s’efforce de faire un bon usage du logos dans le but de dire le monde tel qu’il est.

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