14 Sep
14Sep

« Pour les Pythagoriciens, le ciel respire le vide qui, ainsi, délimite les natures.  

Le vide est une séparation des choses consécutives et leur délimitation.  

De plus, il serait d’abord dans les nombres, car le vide détermine leurs natures ».

Aristote, Physique

          Nous avons vu dans un précédent article consacré à Pythagore et son école que les théories élaborées par les membres de sa secte vont bien plus loin que de simple études scientifiques, mais vont jusqu’à donner un sens à l’organisation de l’Univers, sa structure et son origine. 

Ainsi, si les premiers philosophes ioniens cherchèrent l’origine de l’Univers dans un élément (l’ eau pour Thalès, l’apeiron pour Anaximandre, le feu pour Héraclite), les philosophes grecques ne tardèrent pas à considérer l’âme comme étant la véritable origine de la matière. Cette idée que l’esprit, dans son essence immortelle qu’est l’âme, est radicalement différent du corps et en est l’origine a été le cadeau fait par Pythagore à la pensée occidentale. 


L’immortalité de l’âme 

          Nait au sein des communautés orphiques qui rendaient un culte musical au dieu Dionysos dans des grottes et forêts à l’écart des cités, l’idée de l’immortalité de l’âme imprégna Pythagore qui l’exporta en Grande Grèce suite à son émigration de l’île de Samos. Pour Pythagore, la nature humaine est double : d’une part un corps périssable, et de l’autre une âme immortelle qui existait avant d’entrer dans le corps. Si l’âme s’incarne dans un corps, c’est parce qu’elle a subi un châtiment et se voit forcer de se réincarner dans un autre corps tant qu’elle ne parvient pas à s’extraire de la matérialité. C’est ainsi que Pythagore nous dit que l’air est rempli d’âmes qui attendent leur réincarnation. 

La loi de fer de l’Univers condamne toute âme à subir une longue série d’existences où elle se voit infliger les mêmes peines qu’elle a infligée à autrui lorsqu’elle était incarnée. Le seul moyen de sortir de ce cercle vicieux étant de s’élever à la connaissance de cette loi et suivre une vie juste, bonne et morale afin que l’âme retrouve sa liberté hors de la prison du corps. Comprendre l’âme, c’est ainsi avant tout comprendre l’Ame qui gouverne l’Univers, car l’Univers, comme toutes choses, est animé, vivant. 

L’illustration de cette animation est visible dans la course des astres qui suivent un rythme éternel. L’Univers est un Tout ordonné dont les parties sont rattachées les unes aux autres par des liens harmonieux traduisibles en nombre : comprendre les lois mathématiques permet donc de comprendre les lois qui régissent le grand Tout. Les nombres sont composés de deux éléments : l’illimité et le limité. Le premier est la base matérielle de l’existence, le second est le principe causal déterminant, ordonnant la matière. L’étude des nombres permet de comprendre ce second principe d’ordonnancement des choses, puis de remonter au premier principe originel. 

Le monde physique dans lequel évolue notre corps est un reflet dégradé du monde des astres. La partie supérieur de l’Univers où évolue les astres suit une harmonie parfaite qui ne se retrouve que partiellement dans le monde des mortelles que Pythagore appelle le monde « sublunaire », monde périssable et en proie au désordre. Cette distinction entre les deux mondes astrales et sublunaire sera adopté par Aristote et traversera les âges jusqu’à la révolution Newton et sa loi universelle, c’est-à-dire portant aussi bien sur les astres que sur le monde terrestre, les deux ne faisant qu’un et n’étant pas distinct l’un de l’autre. 


La lueur qui vient d’en haut 

          Ce qui unit monde astral et monde sublunaire est l’âme, qui est un fragment du monde astral brillant au milieu du monde périssable. Semblables aux êtres vivant dans le monde supérieur, l’âme est toujours en mouvement. Cette idée inspirera Platon qui la fit sienne depuis l’écriture du Phèdre jusqu’à sa mort. Xénocrate ajoutera à cette théorie que l’âme est un nombre qui se meut soi-même. Le pythagorisme est ainsi le premier effort de la philosophie en tant que discipline — la légende raconte que c’est Pythagore qui forgea le terme de philosophoï = « l’amant de la sagesse », car celle-ci, comme les femmes, se dérobe à celui qui veut se l’accaparer — pour pénétrer jusqu’à la racine des choses : la vraie réalité tient dans la nature immortelle de l’âme, dont l’essence se situe au-delà du monde périssable, dans le monde des essences éternelles, de l’harmonie et des nombres. 

Adepte de musique, les pythagoriciens observèrent une continuité de leur théorie avec la variation du son obtenu en pinçant les cordes d’une lyre, qui est plus ou moins aigu selon l’endroit pincé. Pincer une corde selon un rapport 2/1 (l’octave), c’est-à-dire au milieu, puis au milieu du milieu, puis au milieu du milieu du milieu, &c produisait un son harmonieux avec des variations selon la subdivision de la corde pincée. Ils découvrirent le même phénomène pour le rapport 3/2 (la quinte) et le rapport 4/3 (la quarte). Les pythagoriciens établirent, pour la première fois dans le monde grec, un lien entre des impressions sensibles et des rapports numériques. 

Pythagore et ses disciples introduisent donc la considération de la traduction des phénomènes de l’Univers en langage mathématique, faisant d’eux le premier maillon d’une longue chaînes allant jusqu’à Descartes et Newton, et visant à mettre l’Univers en équations. C’est dans ce contexte que survient le scandale de l’incommensurabilité de la diagonale du carré. Comment soutenir que toutes choses sont des nombres, que l’Univers tout entier suit des lois mathématiques, et constater qu’une simple diagonale d’une forme géométrique aussi basique que le carré ne puisse être mesurée par aucun nombre ? D’autant plus lorsque l’on connait la place centrale du théorème de Pythagore dans le système logico-religieux de la secte. C’est donc sans surprise que celui qui découvrit ce problème géométrique, Hippasos de Métaponte, fut mis à mort pour tenter de ne pas ébruiter le scandale.

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