« Les êtres vivants sont nés de l’élément humide, après son évaporation par le Soleil.
Au début, l’être humain était un animal comme les autres, à savoir un poisson ».
Anaximandre de Milet
Compagnon de Thalès inventeur du cadran solaire et premier géographe a avoir tracé une carte du monde méditerranéen réaliste, Anaximandre fut un « naturiens » (physiciens, comme disait Aristote des penseurs de l’école de Milet) ayant également eut une activité de législateur, puisqu’il fut chargé de fonder une colonie milésienne à Apollonia, sur la mer Noire. Il se vit même élever une statue en son hommage par ses concitoyens. Également grand observateur des phénomènes naturels, il s’interroge aussi sur le principe fondateur de toutes choses, mais diverge des vues de son ami Thalès.
La mécanique des contraires
De son observation du monde, Anaximandre remarque l’opposition des contraires. Le chaud s’oppose au froid, le sec à l’humide, le grand au petit, le dure au mou, le mouvement à l’immobilité, &c. Le philosophe Simplicius nous dit qu’Anaximandre « n’attribuait pas l’origine des choses à quelque altération de la matière, mais il disait qu’elles provenaient de la disparition des contraires dans le substratum, qui est un corps infini ». Anaximandre considère donc que l’origine de toute choses tient dans une substance indéterminée qu’il appelle apeiron, c’est-à-dire « infini » au sens de « sans limites », ou plus exactement de « sans détermination, sans cause ».
De cet apeiron primordial vont naitre des mondes en quantité innombrables dont le monde dans lequel nous vivons n’est qu’un parmi d’autres. La théorie de la multiplicité des mondes n’est pas la seule idée d’Anaximandre à avoir fait souche dans la pensée occidentale. Cette notion d’opposition des contraires sera reprise — en beaucoup (beaucoup) plus élaboré — par le philosophe allemand Hegel au XIXe siècle, qu’il appellera le « pouvoir du négatif ».
Anaximandre nous dit qu’il y a au sein de l’apeiron des contraires qu’il illustre par l’opposition du chaud et du froid. C’est selon lui la séparation de ces deux éléments qui aurait engendré notre univers (un monde parmi d’autres). Si cette séparation au lieu, c’est parce que l’apeiron contient en lui un mouvement éternel. Cette explication de la matière par le mouvement aura également une grande postérité, puisqu’elle sera à la base de la doctrine « mécaniste » ayant été le paradigme dominant de la physique jusqu’à la fin du XVIIe siècle (notamment Galilée et Descartes) et l’apparition de la physique de Newton.
Le premier savant
Même si Anaximandre n’est pas encore un « philosophe », il fut cependant le premier des savants au sens où nous l’entendons aujourd’hui. Sa volonté d’expliquer le monde par un modèle fondé sur quelques concepts clés (apeiron, contraires, mécanisme) font de lui un véritable homme de science dont les idées inspireront les grandes théories scientifiques ultérieures. Sa pensée est un effort pour expliquer la réalité comme un phénomène contenant en lui-même son propre principe d’existence, et ne le devant pas à un créateur extérieur. Comme le précise Charles Werner dans La Philosophie Grecque (1968) :
« Pour Anaximandre, la substance est l’infini : une matière illimitée et indéterminée, d’où les matières particulières prennent naissance. Anaximandre semble avoir été frappé par la lutte qui existe entre les contraires […]. Les choses, pensait-il, sont en guerre les unes avec les autres, et cette guerre est marquée par les « injustices » dont les choses se rendent coupables en empiétant les unes sur les autres. Par suite, on ne peut admettre que la substance primordiale soit l’eau, comme l’avait cru Thalès ; car alors l’injustice aurait définitivement prévalu, le froid et l’humide l’emportant sur le chaud et le sec. Il faut donc que la substance soit, non pas l’un des termes contraires, mais quelque chose de plus profond, d’où les contraires naissent et dans quoi ils se résorbent ».