« Il faut que tu apprennes toutes choses,
aussi bien le cœur inébranlable de vérité bien arrondie,
que les opinions illusoires des mortels
dans lesquelles il n’y a pas de vraie certitude ».
Parménide
En bon disciple de l’école pythagoricienne dont nous avons déjà parlé, Parménide se représente L’Etre, « ce qui est », comme une sphère parfaite, homogène, immobile. Tout le reste n’étant qu’illusion. La cosmologie parménidienne est très caractéristique des idées ayant cours dans les cercles scientifiques de la Grande Grèce (péninsule italienne) : une physique dualiste reposant sur l’unité des contraires où toute chose est pleine à la fois de lumière et de nuit, et un monde sphérique immobile au centre de l’univers. Cette conception du monde et du cosmos inspirera en profondeur la pensée de Platon, c’est pourquoi nous allons nous attarder dessus aujourd’hui.
Quitter la voie de l’opinion
Poète-philosophe, Parménide s’exprime de manière allégorique en racontant son voyage sur le char du soleil l’emmenant loin du monde des humains sur la voie de la déesse qui guide le sage. Arrivé au bout de la nuit, le poète entre dans la demeure du jour où il est accueilli par les Erynies, qui le présente à la Justice vengeresse, laquelle lui sourit et lui tend les mains.
Pour accéder à la réalité de l’existence, le sage doit savoir faire preuve d’une bravoure dont peu sont capables : le point de départ de la réflexion philosophique tient dans l’engagement de soi « loin du sentier battu des hommes », c’est-à-dire loin de l’opinion commune et des croyances largement rependues parmi le vulgum. Le chemin vers la Vérité est semé d’embûche, car nous sommes aveuglés par nos sens. C’est avec notre esprit que nous devons apprendre à regarder le monde : « Considère fermement les choses avec ton esprit, bien qu’elles soient éloignées, comme si elles étaient à portée de ta main ».
Le réel est soumis au changement permanent. Or changer suppose de se nier, devenir autre chose que ce que l’on est. Cependant, il est possible de penser la permanence, l’immobile, avec notre esprit. La seule réalité est donc celle qui est pensée, uniquement accessible par la raison, et qui contient en elle le monde sensible soumis au mouvement permanent. Cette réalité, qui est la seule réalité, c’est l’Etre, dont nous ne pouvons dire que « Il est » et qu’il est impossible pour l’Etre ne pas être, car si l’Etre n’était pas alors le monde sensible n’existerait pas non plus. Être ou ne pas être : tel est, pour l’Etre, la question.
La métaphysique de Parménide se veut donc logique. Pour lui, le but de la recherche philosophique est l’Etre qui ne peut pas ne pas être. Parménide accuse ses prédécesseurs d’avoir amené leurs disciples vers une erreur en faisant de l’origine de l’univers un élément particulier (l’eau, le feu, l’apeiron), car dire d’un élément qu’il est la substance primordial, c’est dire qu’il est à la fois Tout et partie, à la fois l’élément générateur de l’univers, mais aussi un élément sensible dans le monde physique : c’est dire que le moteur de l’univers « est » (origine du monde) et « n’est pas » (éléments sensible soumis au changement) à la fois. En d’autres termes, l’Etre doit se concevoir comme incréé, indestructible, continu, immobile et fini.
Une contradiction de taille…infinie
L’être est incréé, car d’où pourrait-il bien venir ? Il n’a pas pu naitre de l’être, car cela signifierait qu’il aurait existé avant sa naissance, ce qui n’est pas concevable. Il n’a pas non plus pu venir du non-être, car le non-être n’existe pas. Et même s’il était né du non-être, qu’est ce qui l’aurait amené à naitre à tel moment de la continuité plutôt qu’un autre ? Ainsi, si l’Etre n’est pas né, il ne mourra pas non plus, dans la mesure où la naissance et la mort se suppose l’un l’autre. L’Etre n’est pas soumis au temps, les concepts de passé et de future ne s’applique pas à lui, car il existe dans un présent éternel.
L’Etre est également indestructible et continu, il n’admet pas de parties, car l’existence de parties de l’Etre impliquerait l’existence du non-être : l’Etre est un Tout absolument plein, une parfaite Unité qui n’admet pas le vide ni aucune multiplicité. Il est aussi immobile, car le mouvement, comme la multiplicité, impliquerait l’existence du non-être. En effet, pour se mouvoir l’Etre devrait disposer d’un espace vide pour se déplacer. En définitive, l’Etre reste constamment à la même place, que ce soit physiquement ou temporellement : il repose en lui-même, dans une quiétude éternelle.
Parménide admettait cependant une limite à l’Etre. Cette limite est propre à l’imaginaire mentale des grecs, à savoir que le fini est supérieur à l’infini. Pour Parménide, l’Etre se doit d’être fini, car s’il ne l’était pas, il ne serait jamais achevé, jamais complet, c’est-à-dire imparfait. Or l’Etre est parfait, rien ne lui manque, il a donc une limite : l’Etre est une sphère parfaitement ronde (ce qui est physiquement impossible dans le monde sensible). Ce dernier point est cependant contradictoire et fut modifié par son disciple Mélissus. En effet, si l’Etre était fini, s’il avait une limite, cela signifierait qu’il y eût un espace vide au-delà de la sphère, c’est-à-dire le non-être. Mélissus admit donc que l’Etre est infini dans l’espace comme dans le temps.