« Aucun d’entre nous n’honore comme il le faut son âme »
Platon
En proie à une grande inquiétude quant à l’avenir de sa cité, Platon chercha la solution à la dégénérescence de son monde dans l’âme et l’éducation. Comment créer une cité qui permettrait de faire advenir un nouveau philosophe et — surtout ! — qui ne le condamnerait pas à mort comme cela fut le cas pour son maitre Socrate ?
Un élément central
Platon considère deux grand type d’éléments réels : les modèles ou les images. Sauf l’âme, qui pour lui n’est ni l’un ni l’autre. L’âme tient une place centrale dans la philosophie de Platon en ce qu’il n’y a pas un seul de ses dialogues qui ne s’y réfère. En conséquence, l’âme est ce qu’il y a de plus complexe à comprendre de l’existence. La vie et la pensée ne sauraient être sans l’âme, tout comme le Monde, sa cohésion ainsi que celle de la cité dépendent d’elle. Tout converge vers et d’écoule de l’âme, qui est le principe d’unification de tout ce qui est. Elle est un pont entre les disciplines faisant que l’éthique, la politique et la cosmologie ne font en réalité partie que d’une seule et même science : la psychologie, ou étude de l’âme.
L’âme est tournée vers l’Idée, mais en tombant dans le corps elle subit l’influence de la matière. L’âme est le principe d’unité alors que le corps est divisé en parties : le corps est dissolu alors que l’âme, comme l’Idée, est simple et une. C’est par une violence contraire à sa nature divine que l’âme est liée au corps qui la bouleverse, car le corps est le lieu du désir qui divise les hommes entre eux, mais aussi en eux-mêmes. C’est le désir qui enchaine l’âme au corps et lui impose d’avoir partie liée avec tout ce qui meurt : le corps est pour l’âme une prison dont elle doit se délivrer.
La réalité nous parvient par le biais des sens, c’est-à-dire par le corps. Ce que nous percevons est donc divisé, soumis à la multiplicité. La pensée est donc confrontée à une réalité rendue complexe à cause du corps. Libérer l’âme du corps est l’acte permettant de rendre à la réalité son unité, car l’âme, cous dit Platon, est le principe dialectique reliant le multiple à l’unité et sans lequel il nous serait impossible de vivre. Le philosophe est celui qui guide les hommes au milieu de la multiplicité tout en y étend lui-même soumis. Le philosophe ne peut donc que croire à l’idée qu’il se fait de l’Idée ; croire que par la force de sa pensée et son langage impur il parviendra à guider les autres à coup de mythes, analogie, métaphores et autres arguments dialectiques et rhétoriques. Mais savoir que ce en quoi nous croyons est conforme à l’Idée ?
La rectitude du philosophe
Dans la République, Platon fait état de ce qu’il perçoit comme étant la « cité idéale », la cité conforme à l’Idée de Cité. Ame, cité et Monde posent le même problème : comment unifier leurs parties pour les rendre conforme à leur unité située dans l’Idée ? Les connaitre, c’est se référer à un modèle d’ordre, c’est-à-dire cosmologique, que le philosophe est seul à même de percevoir. Raison pour laquelle il est placé au sommet de la hiérarchie de la cité comme élément autour duquel les citoyens, la multiplicité de la cité, trouvent leur unité. Mais Platon pressent que la contingence dans laquelle est plongé le Monde et la cité induit la possibilité d’une perversion. Si par un usage faux du langage, ce que Platon nomme la « fraude aux mots », des simulacres de philosophes — c’est-à-dire des sophistes — parviennent à séduire les hommes, alors les vertus, l’éducation, les sciences et la constitution de la cité ne seront elles-mêmes que des simulacres, et les hommes resteront prisonniers des ces cavernes que sont toutes les sociétés existantes.
Le « Philosophe » est celui qui par nature est apte à philosopher. La « nature » du philosophe tient à l’orientation de son désir tourné vers le Bien, vers l’Idée. Ce que Platon appel « philosopher » est donc une disposition psychologique au sens littéral du terme : une disposition de l’âme tout entière vers l’unité des choses. Ce désir tout particulier que possède le philosophe produit nécessairement dans son âme des effets, qui sont les qualités et vertus du naturel philosophe. Mais la grande crainte de Platon est que ce naturel soit impossible à répliquer, Socrate ayant peut-être été le seul et unique Philosophe.
La philosophie est ce monstre sacré qui inspire un sentiment mêlé de respect et de crainte dans le cœur de ceux qui l’ignore, raison pour laquelle certains cherchent à s’accaparer son prestige, à la pervertir, pour dominer les foules. Ces perversions que subit la philosophie rendent d’autant plus difficile pour ceux qui disposent d’un naturel de philosophe de distinguer entre le discours d’un philosophe et celui d’un sophiste. Les rares personnes qui pourraient être faites pour elle risque de s’en détourner par dégouts des simulacres de vérité professés par les sophistes. Pour qu’une âme trouve la philosophie, il faut donc que les conditions contingentes au sein de la cité dans laquelle elle se trouve soit réuni.
La constitution politique de la cité est la première cause de corruption du naturel philosophe qui, tout comme éros, peut s’inverser et conduire celui qui aurait pu être le meilleur des hommes à devenir le pire d’entre eux. Ainsi retourné contre son âme, le désir du potentiel philosophe est pervertit par la corruption ambiante de la cité dans laquelle il évolue. Ainsi, nous dit Platon, le problème de l’éducation et de la perversion du naturel philosophe est plus qu’un problème simplement politique, car il est synonyme, pour la philosophie, d’impossibilité de se garantir contre sa propre disparition.